La dirigeante qui accueillait le
G20, avait reçu tous les dirigeants, un par un, dans la même journée. Exténuée,
elle commanda un whiskey et voulut se dégourdir les jambes. Elle se lava et fit
quelques pas repensant aux décisions de la journée et au sort du monde, puis
pausa les fesses contre le bureau. La pièce dans laquelle elle se trouvait
était vaste. Cependant, elle remarqua que pour un lieu où s’exerçait le
pourvoir, l’espace dans lequel s’exerçait réellement
le pouvoir était restreint. La pièce devait faire cent cinquante, deux cent
mètres carrés. Pourtant, il n’y avait d’exploité que l’espace entre la porte et
le bureau et son pourtour direct : en tout une bande de cinq mètres sur deux. Intriguée
par ce fait, elle fit un tour sur elle-même. C’est étrange, vraiment, se
dit-elle. Il lui semblait pouvoir voir les pas de ses invités en surbrillance
sur le tapis, comme les espèces d’hologrammes que les chaînes de télé utilisent
pour expliquer une action lors d’un match de foot. Elle s’amusait à imaginer
les pas tracés en rouge entre l’entrée et le bureau, car c’était sans aucun
doute, le trajet le plus utilisé. Ensuite, il y avait, les siens et ceux des
secrétaires et du personnel d’entretien autour du bureau, peut-être en jaune.
Enfin, il y avait le reste de la pièce où elle n’allait jamais et où elle ne
voyait jamais personne. Cependant, elle était propre et donc indiquait que
certaines personnes devaient passer faire le ménage, les pas seraient bleus,
mais où donc pouvaient-ils se trouver ? Ils ne pouvaient pas tout
recouvrir. Les agents de nettoyage devaient avoir un parcours typique, un itinéraire
quotidien qui les emmenaient autour de la pièce mais aucun indice ne le
laissait transparaître. Ainsi, elle réalisa qu’il restait une certaine surface
où personne ne mettait les pieds, à part ceux qui passaient la serpillère mais
par leur travail même ils n’utilisaient pas vraiment la pièce, ils la
préparaient à être utilisée et personne n’utilisait le sol qu’ils avaient lavé.
On pouvait en conclure que ces endroits de la pièce étaient encore plus
gaspillés. D’après elle, l’espace inexploité représentait, peut-être,
quatre-vingt pourcents, allez, soixante-quinze. Cela voulait dire que
l’État mettait à disposition une pièce dont les trois quarts ne servaient à
rien. Elle pensa au peuple qui demandait aux gouvernants toujours plus de
retenue dans les dépenses et son regard refit un tour de la grande pièce vide.
Peut-être pourrait-elle installer plusieurs bureaux ici. Au plus elle y
pensait, au plus le gâchis d’espace lui sautait aux yeux. Elle imagina une
nouvelle organisation, un peu en open-space, telle qu’elle s’imaginait les open-spaces car
elle n’avait jamais travaillé dans un bureau. En revanche, sa fille travaillait
dans un open-space en Californie et elle aimait bien ça. Il y aurait quelques
secrétaires ici ou là, des aides à droite à gauche et on pourrait aménager un
coin de la pièce pour les réceptions de chefs d’état. Un coin pas trop petit
quand même, il ne faudrait pas courir le risque de perdre le respect des chefs
d’état étrangers non plus, ces primates qui attachent beaucoup trop
d’importance à la taille des choses. Elle connaissait un architecte ou deux qui
seraient content de pouvoir travailler à ce genre de projet. La porte claqua et
elle sursauta. On l’appelait. Elle pausa son verre encore plein sur le bureau
et sortit.
*