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Pénélopéïade, ou l’accomplissement de la dernière prédiction de Tirésias, ou bien encore la domestication d’Ulysse. Par Homère.



Chant I[1]


Raconte-nous donc, ô Muse, comment le rusé et subtil Ulysse
Trouva finalement lors de l’accomplissement de la prophétie
Du bon vieux Tirésias, un adversaire à l’esprit aussi affuté
Et acéré que le sien. Chante comment la colère de Pénélope,
Plus noire que celle du Péléïde Achille, redressa
L’esprit retors de son homme, dont beaucoup
L’avaient souvent cru trop ingénieux et trop fin pour les hommes ;
Mais apparemment pas pour sa femme !
Ulysse, pour la énième fois, et sous les yeux ébahis
Et sous les applaudissements de Télémaque et d’Eumée,
Brandit son arc dans la cour et envoya une flèche à travers
La rangée de haches. « Ulysse, dit Eumée, pourquoi t’entraînes-tu autant ?
Va dire au revoir à ta bien chère épouse, notre reine Pénélope ».
Télémaque s’approcha de son père et tendit une main vers l’arc
Que ce dernier ramena contre lui et il prononça ces paroles :
« L’heure du départ est proche les amis, la route est longue,
La plus longue de toutes mes aventures
Et je n’aurai pas d’autres occasions de m’entrainer ;
Alors j’aimerais être sûr d’avoir le geste bien en tête
Et partir ainsi l’esprit tranquille, au cas où je devrais défier
Un nouveau fat qui aurait la folie de vouloir se glisser
Dans mon lit en mon absence ». Il réussit un autre tir
Et les deux se répandirent en cris d’admiration,
Les yeux de Télémaque, envieux et écarquillés, retournaient inlassablement
Vers l’arc courbé qu’il désirait saisir au creux de ses jeunes mains habiles.
Ulysse, le visage fermé, regardait la cible de laquelle pendaient maints
Traits tous enfoncés les uns dans les autres, bien au centre !
Pendant ce temps, Pénélope et Euryclée étaient
Dans la chambre nuptiale et choisissaient ensemble
Ce qu’Ulysse emporterait. Euryclée s’exclama :« Ne serait-il pas beau
Avec ces belles petites sandales spartiates ? Les étrangers
Surement seraient impressionnés par un si bel homme ! »
« Un si bel homme, un si bel homme ! Maintenant qu’Athéna
N’est plus là pour le rajeunir, son front ridé est cerné
De plus de cheveux blancs que moi, jadis, de vils prétendants !
S’il y a bien quelqu’un qui vieillit bien c’est moi ! En même
Temps, mon mari n’est pas resté ici assez longtemps pour m’épuiser… »
« Qu’as-tu ma bonne Pénélope, tu me semble d’humeur bien irascible ? »
« Nourrice allons ne vois-tu pas ce qui est en train
D’arriver ? Ulysse a encore trouvé un prétexte pour partir, et bien
Plus loin cette fois-ci ! Crois-tu vraiment qu’il va revenir et non pas
Se trouver une sorcière, nymphe ou autre salope (pardonne mon langage) ? »
« Allons, allons, tu es bien dure avec lui. » « Et toi trop douce !
Tu lui passes tout, avec une éducation comme ça pas étonnant
Qu’il n’en fasse qu’à sa tête ! Non nourrice je ne veux pas qu’il reparte,
Et cependant ne peux m’y opposer. Alors ne me demande pas
Mon concours à la célébration du héros ; car malgré mon rang d’épouse
J’occupe une place de spectatrice, guère plus enviable
Que celle de ma lessiveuse qui va écouter l’aède
Chanter les prouesses de mon mari, les weekends au marché ! »
À cette plainte la nourrice prit un ton maternelle et enroba ses
Paroles d’un miel à adoucir le courroux des dieux.
« Eh bien ma chère, je vois bien que tu l’aimes et c’est vrai que ce bon
Ulysse est un petit roublard, mais Ulysse ne serait pas Ulysse
S’il ne partait pas vivre des aventures pour revenir les bras pleins de récits.
Cependant il ne part pas de gaité de cœur il… »
« Oui ça c’est ce qu’il dit, on était pas avec lui l’entendre, la prophétie ! »
« Aussi j’attirerais ton esprit fin sur une possibilité pas encore évoquée :
Ses départs sont notre futur ; tu ne veux pas qu’il parte mais tu veux
Un futur ? Alors ouvre bien tes oreilles et considère ces paroles !
Pourquoi ne partirais-tu pas avec lui pour cette fois ? »
À ces mots, Pénélope resta interdite puis elle dit : « Pffff, il ne voudra
Jamais. » « Lui as-tu au moins déjà demandé ? » « Non j’ai toujours eu peur
Qu’il reparte l’instant d’après. » « Ah ! Très bien laisse-moi faire. »
Euryclée laissa tomber les sandales qu’elle avait dans la main
Et s’approcha de la fenêtre qu’elle ouvrit en grand.
Pénélope protesta faiblement mais la laissa faire lorsque la nourrice
Passa la tête par la fenêtre et interpella Ulysse en bas dans la cour.
Ce dernier, imperturbable, s’apprêtait à lancer une énième flèche.
« Bibou, mon chéri ! dit la nourrice, pourquoi n’emmènerais-tu
Pas Pénélope avec toi ? » dit-elle, alors que ses doigts agiles
Lâchaient la corde. À ces paroles, Ulysse fut parcouru
D’un soubresaut et, une fois n’étant pas coutume, envoya
La flèche six pied au-dessus de la cible. Télémaque et Eumée
Ouvrirent grand les yeux. « Quoi ? Putain maman
Tu vois pas que je suis en train de m’entraîner ! »
 « Eh bien arrête donc de jouer avec ton arc un peu,
N’as-tu pas passé l’âge ? Viens t’occuper de ta femme
Qui ayant été une bonne mère voudrait devenir enfin une bonne épouse ! »
Ulysse baissa son arc mais le garda près de lui, voyant
La convoitise dans les yeux de Télémaque. « Est-ce qu’on pourrait
En reparler ce soir après mangé ? » demanda-t-il. Une commotion
Se fit entendre et une ombre passa sur le visage d’Ulysse. Il devinait
Que Pénélope devait être dans la chambre et goutait
Peu ses paroles. Il essaya d’invoquer Athéna pour qu’elle lui souffle
Quoi dire mais la déesse, autrefois constamment derrière
Notre héros, demeurait bien silencieuse. « Tu n’as pas répondu
Fiston, pourquoi donc ne viendrait-elle pas avec toi ?
Le chemin est long, vous êtes vieux tous les deux
(Une autre commotion se fit entendre) tous tes compagnons
Sont cloués par l’arthrose et leur engeance à leurs trônes.
Ainsi tu serais bien seul si tu devais partir en l’état, Pénélope
Serait à coup sûr, une compagne de choix, d’ailleurs
Ne l’as-tu pas déjà choisie entre toutes, il y a de ça tant d’années ? »
Ulysse réfléchissait à toute vitesse mais sans l’aide d’un dieu
Et avec le poids des années, sa répartie calait au démarrage.
« Je… euh, je ouais. J’y avais pensé figure toi. Faire le chemin
Accompagné serait quand même autre chose. » « Et quelle compagnie ! »
Dit Euryclée avec un clin d’œil. « Ça c’est sûr, dit Ulysse,
D’ailleurs j’avais pensé à elle dès le début mais je pensais
Que le voyage serait pour elle source de fatigue et d’ennui
Plutôt que de plaisir et de réjouissances, au contraire de ce qu’on trouve ici ! »
Il dit ces paroles pensant n’avoir convaincu personne.
Sa surprise fut totale lorsque Pénélope sortit à fenêtre et dit « C’est vrai ? »
« Bien sûr. » « Mais mon chéri, au contraire ! Je brulais de prendre la route
Avec toi, de connaître l’ennui du trajet qui n’en finit plus, de la poussière
Qui vient assécher les narines et la bouche, des étrangers aux langues
Inconnues, et aux coutumes bizarres, de ressentir le frisson du danger
Et l’appréhension de la découverte, s’il te plaît prends moi avec toi et partons donc
Dans ce pays où ils ne salent pas leurs plats ! »
« Eh bien c’est un sacré discours que tu nous as fait là et puisque tu sembles déterminée
Je vais me dépêcher d’y réfléchir ? Je t’enjoindrai également, de réfléchir à cela :
As-tu bien conscience des périls mortels qui nous attendent incontestablement ?
Nous allons risquer nos vies au détour de chemins étrangers !
Nous allons courir le risque de mourir sans revoir notre cher Télémaque
Il se peut, et si j’en juge par ma propre expérience la probabilité est grande,
Que nous finissions prisonniers dans les geôles de quelque monstre !
Alors considère cela à tête reposée et donne-moi ta réponse dans quelques jours. »
À la grande surprise d’Ulysse Pénélope disparut un instant
Et réapparut avec un vase à la main qu’elle lui lança dessus.
« Mais chérie, qu’est-ce qu – ? » « Salaud, salaud, salaud !
Je le savais ! Tu n’es qu’un menteur ! » hurla-t-elle et claqua le volet.
Ulysse se passa une main dans la barbe et tenta une nouvelle fois
D’invoquer Athéna. À sa grande surprise la plus belle villageoise
Qu’il n’eût jamais vu apparut sur sa propriété et s’avança vers lui.
Était-ce Athéna ? Il n’avait pas l’habitude de la voir comme ça.
« Dis donc ma bonne Athéna pourquoi ne t’es-tu pas montrée
Sous cette apparence qui te va si bien, bien mieux que celle
D’un vieux ou qu’un gamin ! » L’étrangère resta silencieuse.
« Si tu n’es pas Athéna aux yeux pers, en tout cas, belle étrangère
Tu as l’air d’avoir ce qu’il faut pour que nous nous fassions la paire. »
Il ajouta à ses paroles un clin d’œil pour en souligner le sous texte.
« Ô bel Ulysse range donc cette langue bien pendue
Je ne suis pas venue pour te sortir une énième fois d’un guêpier
Dans lesquels tu sais si bien te fourrer ! Et pas seulement
Les guêpiers, salopard ! Tu n’as jamais su apprécier à leur juste valeur
Les efforts d’une déesse pour te plaire et je suis venue pour te
Signifier qu’à l’avenir je ne te viendrai plus en aide,
En effet, j’ai trouvé quelqu’un qui me respecte et me fais
Me sentir comme une déesse… » « Mais tu es une déesse ! »
« Le tranchant de ton esprit est bien émoussé, comment ai-je bien pu
Être amoureuse d’un type comme toi ! c’est terminé Ulysse. »
« Et tu ne m’as jamais dit tout ça ! Attends ! » « Trop tard ! »
Athéna se changea en chouette et prit son envol.
« Attends ! Mais attends, bordel ! C’est qui ce connard ? »
Entre deux ululements, il sembla à Ulysse, avoir entendu
« Antinous… » mais il n’était pas sûr, mais connaissant
Les femmes cela ne l’étonnait pas. Ayant le moral
En bas des sandales, comme peu de fois, voire même jamais
Cela lui était arrivé, Ulysse essayait de rassembler
Ses pensées éparses lorsqu’un vent marin se leva.
Une bourrasque puissante vint faire sauter de ses gonds
Le volet de sa chambre. « Enculé » siffla-t-il entre ses dents –
À cet instant, le visage en pleurs de Pénélope apparut –
Cela portait la marque de Poséidon, « tu ne me lâcheras donc jamais ! »
Ses yeux étaient boursouflés, son nez coulait et sa voix
Toute enrouée ! Ulysse poussa un soupir et dans la poussière
Laissa tomber son arc à la corde détendue. Ni une ni deux Télémaque
Se précipita dessus, suivi de près par Eumée.
« Je… je te prie de m’excuser Péné, j’ai merdé, j-je suis désolé… »
« Non c’est moi, dit-elle, j’en demande trop au grand Ulysse.
Allez va, va vaquer à tes occupations de héros pendant que je garderai
La maison. » « Non je suis sérieux, je veux que tu viennes. »
« Pars mon amour, je serai malheureuse, mais je ne veux point rester
Dans l’histoire comme celle qui a privé le monde du récit
Des aventures du grand Ulysse. » « Arrête de m’appeler comme ça,
Je suis sérieux, je veux que tu viennes. Ce sera le voyage de noces
Que l’on n’a jamais eu. » Pénélope esquissa un sourire, « c’est vrai ? » demanda-elle.
Ulysse pinça les lèvres et acquiesça de la tête.
Bien que l’endroit où Ulysse planta la rame se trouvait bien plus loin
Que les autres endroits où il s’était rendu, Pénélope et lui exécutèrent
Le voyage en un temps record. Cependant, il tint à ce qu’ils s’arrêtassent
En route, histoire de faire plaisir à Pénélope. Ainsi, ils visitèrent des auberges typiques,
Mangèrent dans des petits restos sympas et firent du shopping.
Ils arrivèrent à peine au palais que Pénélope parlait déjà de repartir.
Ulysse argua qu’il fallait attendre un peu, sinon on pouvait vite se lasser,
Et puis, il fallait s’occuper des affaires de l’Île. Pénélope lui fit remarquer,
Que Télémaque s’en était remarquablement tiré ce coup-ci et
Qu’ils pouvaient bien lui laisser le pouvoir, car si eux devaient vivre
Encore longtemps, ils avaient vingt ans de vie commune à rattraper.
Ulysse comprit alors que la dernière prédiction de Tirésias
N’avait été qu’une mauvaise blague fomentée par Poséïdon.
La mort dans l’âme, Ulysse savait qu’il n’aurait pas de porte de sortie
Aux dizaines d’années qui l’attendaient et dit « très bien ma chérie,
Comme tu voudras. » Une bourrasque balaya l’île dont
Le soufflement ressemblait à un rire persifleur.[2]



*


[1] Ceci est une supputation, car l’œuvre est anonyme. La longueur du poème, son objet et le peu de références que les auteurs de l’Antiquité en ont faites tendent à faire penser que le poème rencontra peu de succès expliquant ainsi que le ou les auteurs ne voulurent y accoler leurs noms. Cependant le sujet du poème étant plus ou moins lié à ceux d’Homère pourquoi ne pas lui attribué celui-ci aussi ?
[2] L’œuvre a été traduite par deux de nos membres, veuillez excusez certaines approximations et possibles erreurs, ce sont les deux seuls de l’équipe à avoir pris option latin au collège.