Elle s’est engagée sur la bretelle d’autoroute. C’est alors,
qu’elle s’est demandée si elle n’avait pas laissé la lumière de chez elle
allumée. Elle eut du mal à déglutir, tira sur sa ceinture et entrouvrit la
fenêtre. De toute façon, elle n’allait pas faire demi-tour maintenant. Est-ce
qu’elle l’avait laissée allumée, ou bien était-ce l’un de ces sentiments que
l’on attrape au réveil ? Pourtant, tout allait bien ce matin, rien
d’anormal et donc aucune raison d’avoir commis une erreur. La lumière était
certainement éteinte et pourtant, elle la voyait clairement allumée. Elle
voulut rire mais dans cette lumière il y avait le visage de son père, les
sourcils froncés et la bouche remuant comme celle d’un automate. Sa voix, décalée.
T’as maille oublié la lumière ! Comment veux-tu que j’te laisse seule ?
Mais papa, c’est juste de la lumière. Tu sais combien ça coûte la
lumière ? Elle ne savait pas le chiffre exact mais elle savait qu’il était
en train de lui faire payer trop cher. Les autres automobilistes n’avaient
aucune idée de ce qu’elle était en train de faire : rouler la lumière
allumée chez elle alors qu’il n’y avait personne. Eux conduisaient
tranquillement. Son père non plus ne le savait pas. Ses élèves se préparaient à
prendre le bus. Il n’y avait qu’elle qui sache. Que savait-elle ? Pas
grand-chose. En fait, elle ne savait pas. Elle ne savait pas si elle avait
éteint la lumière ou pas. Elle aurait pu essayer de faire comme les autres et
prétendre ne pas savoir, s’en foutre mais elle savait ce qu’elle avait
peut-être pas fait. Puis, elle a réalisé que les autres avaient certainement
des problèmes eux aussi. Des choses dont elle ne se doutait pas, à leurs yeux
elle avançait aussi égoïstement qu’eux vis-à-vis d’elle. Des problèmes
certainement plus graves et qui la laissaient de marbre, bien à l’abri dans son
habitacle ou derrière son bureau de prof. Ses ennuis à elle n’étaient pas
grand-chose en fait, elle avait tort de s’en faire. Après tout, ce n’était pas
comme si elle avait oublié l’eau ou le gaz. Le gaz, elle n’était pas prête de l’avoir,
avec les remarques récurrentes sur sa maladresse et son manque de concentration
qu’elle avait reçues, vingt années durant chez ses parents, elle ne risquait
pas de prendre le gaz. C’était au-dessus de ses forces. Certes l’électricité
était plus chère, ce qui n’avait pas manqué d’énerver son père, mais elle
préférait mettre le prix et vivre avec une chose en moins à penser.
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